Photos: Sébastien Monachon
La Bâtie-Festival de Genève mardi 01 septembre 2015 – Le temps
Le stimulant mariage des plaies et des paillettes (Marie-Pierre Genecand)
Dans «Sound of Music», Yan Duyvendak marie pour le meilleur les plaies du monde avec la comédie musicale façon Broadway. La tension étonne et frappe
Indécence ou pertinence? Le moins que l’on puisse dire, c’est que le pari de Yan Duyvendak a divisé le public de La Bâtie-Festival de Genève. Rien que pour ce débat, on peut saluer l’initiative du performeur genevois. Marier comédie musicale sucrée et catalogue des pires dysfonctionnements mondiaux était audacieux (Samedi Culturel du 22.08.15). Le résultat, en tension permanente entre légèreté et gravité, passionne. Sound of Music sera à l’affiche de Vidy-Lausanne du 27 au 31 octobre.
Oui, la dizaine de professionnels formés à l’école de Broadway chantent sourire aux lèvres et déhanché provoc. Oui, ils fixent le public avec un regard enjôleur, dans la plus pure tradition de ce genre si séducteur. C’est justement cette aisance, voire cette arrogance, qui, opposées aux tragédies planétaires, font la qualité de Sound of Music. Si la sauce artistique prend dans ce pari improbable entre le plus sucré et le plus inquiétant, c’est parce que Yan Duyvendak aborde avec sérieux aussi bien l’état des lieux de notre planète que le divertissement. Ainsi traitée, avec ce sérieux forcené, cette rencontre de deux univers opposés produit une vraie étrangeté.
Une étrangeté déjà manifeste dans le travail chorégraphique d’Olivier Dubois. L’artiste français, amateur des grands ballets ultra-réglés (Tragédie, l’an dernier à La Bâtie), prend souvent le parti dans cette création d’assécher les figures classiques de la comédie musicale, de les ralentir et de les disséquer, comme pour signaler la gravité sous la frivolité. Il a aussi cette drôle d’idée de transposer au sol, ballet de bras, corps couchés, la kick-line, cet enchaînement de mouvements métronomiques qui, d’ordinaire, s’accomplissent avec les jambes, corps debout, alignés. Ce détournement de codes prépare au choc des mots.
Car, que ce soit dans les chansons traduites en anglais rimé, ou dans les textes affichés en surtitre tout au long du spectacle, les phrases de Christophe Fiat cognent. Réchauffement climatique, surpopulation, exploitation des ouvriers dans des usines d’assemblage de smartphones, surconsommation et suicide des adolescents sont quelques-unes des tragédies contemporaines évoquées. Elles sont tirées de la lecture assidue des rapports des Nations unies par Yan Duyvendak depuis plusieurs années.
Lui-même intervient pendant le spectacle en Monsieur Loyal du pire et, citant un rapport de la FAO, annonce que «si l’on ne fait rien pour mieux distribuer les richesses, une guerre civile aura ravagé le monde en 2040. Dans vingt-cinq ans.» Moralisateur? Donneur de leçons? Oui, et il l’assume. «J’ai peur et je veux partager cette inquiétude avec le plus grand nombre. Ma démarche est en effet pédagogique», soutient Yan Duyvendak.
Du dur, donc. Confronté à l’insouciance et aux paillettes de la comédie musicale. A cette belle énergie des tutti, ces séquences physiques et rythmées où les corps des danseurs du Ballet Junior de Genève associés à l’entreprise sautent, glissent et se faufilent selon les enchaînements fixés au souffle près. Il y a une séduction dans cette virtuosité et un espoir. Même si la fin raconte plutôt la fuite en avant avec cette intraitable solarisation… On va tous griller? Le spectacle de Yan Duyvendak nous invite à éviter cette autodestruction.
Sound of Music, Vidy-Lausanne,
du 27 au 31 octobre, 021 619 45 45, www.vidy.ch